Il faut croire que, ce jour-là, la Camarde avait
fauché un peu trop vite ou que les esprits se livraient
au repos, car il n’y eut ni ange ni diable pour
recueillir son âme.
Et la pauvre âme ne savait où se diriger parce
qu’elle ne connaissait pas plus le chemin du ciel que
celui de l’enfer.
Elle se lamentait, quand saint Michel, qui venait de
quérir un roi, passa. Elle le suivit, de loin, et, ainsi,
arriva au ciel.
C’était un castel dont la muraille était si longue
qu’on n’en voyait pas la fin et si haute qu’on n’en
voyait pas la cime.
Les élus, que les anges portaient, entraient sans
discontinuer, et, chaque fois que le portail, qui res-
plendissait de lumière, s’ouvrait, on entendait en une
douce musique : « Gloire ! Gloire I »
L’âme se sentait possédée d’un ardent désir d’aller
chanter la gloire du Très-Haut.
Elle heurta au portail.
Saint Pierre, qui tient la clef du Paradis, regarda :
« — Que veax-tu? cria-t-il.
« — Je suis Coudaca, de Chilhac; j’ai gagné le ciel
et j’y viens ».
Le gardien du ciel lui répondit, en faisant la gri-
mace :
« — Qui t’a conduit?
« — Je viens seul, bon saint Pierre.
« — Où est ton ange gardien ?
« — Je ne le sais pas : quand je suis parti de là-bas,
il n’y avait personne pour me prendre.
« — Et tu voudrais entrer ici?
« — Certes, oui, bon saint Pierre.
« — Veux-tu te retirer?… Nous ne recevons pas la
pauvraille I . . .
« — Si j’étais pauvraille, comme vous, je ne deman-
derais rien ! Vous vous nommez Pierre et vous êtes
plus dur que la pierre!… Vous ne faisiez pas tant le
fier, lorsque le coq chanta trois foisl… ».
L’apôtre en resta comme une brebis étourdie d’un
coup de massue…
Peu après, il appela saint Thomas.
Celui-ci, qui avait ouï Coudaca, se promettait de
le rabrouer de la belle façon :
« — C’est toi, qui es si hardi?
« — Bon saint Thomas, je ne demande pas grand
chose : je veux seulement entrer au ciel.
« — Vil manant ! Insolent ! Tu ne sais pas que nous
sommes les martyrs, les confesseurs, les apôtres, les
saints, et que ce ciel est nôtre?
« — Dites, saint Thomas, vous souvenez-vous de
votre mécréance, et que Notre-Seigneur vous fît bou-
ter votre main dans son côté?… N’en avez-vous pas
vergogne ? »
Le saint baissa la tête, puis il appela saint Paul.
Déjà, saint Paul ouvrait la bouche pour lui faire un
discours bien senti, quand Coudaca fit :
« — Apôtre, je suis enchanté de vous voir : peut-
être, me venez-vous conter ce que vous fîtes, quand
on martyrisa saint Etienne, et où vous alliez, quand le
feu du ciel vous jeta à terre… »
Ce fut comme si on l’avait cinglé au visage et il
resta sans mot dire…
Mais le bon Dieu, qui savait bien qu’il se passait
quelque chose, vint voir.
Coudaca n’eut pas peur de lui parler :
« — Seigneur, dit-il, je ne suis qu’un pauvre serf,
le dernier des hommes, rien qui vaille; mais je ne
vous ai jamais renié, j’ai crw en vous et n’ai tué per-
sonne. Toute ma vie, j’ai partagé mon pain avec ceux
qui n’en avaient point, j’ai réchauffé et couché ceux
qui avaient froid et qui étaient sans abri ; et, ore, je
viens vous demander de m’ouvrir le Paradis.
« — C’est bien parlé, répondit le bon Dieu. Tu sais
te défendre et ton plaidoyer m’agrée. Pierre, ouvre !
et toi, entre ! »
Cette fois, il fallut bien que le portail s’ouvrît, et
Coudaca entra au Paradis.
Ces saints sont les seigneurs de jadis, qui avaient
tout le bien-être, et Coudaca, le pauvre peuple qui a
tant peiné pour en obtenir un peu.
/////////////
L’anma se sentia tirada per l’enveja d’anar chanta r
la gloria de l’Autisme.
Tustet pelh portau.
Sent Peire, ?que ten la clau delh Paradis, espin-
chet ;
« — Que voles ? » so cridet.
« — Sel Codaca de ves Ghilhac ; ai ganhat lo celh
e 1 vene ».
Lo gardaire delh celh respondeguet en se re-
gaunhant :
« — Quau t’a menât ?
« — Vene solet, bon sent Peire.
« — Ont es ton bon ange ?
« — sabe pas ; quant sei partit d’alaien, i avia
dengun per me prener.
« — Et voudrias entrar’qui?
« — Fotre ben, bon sent Peire !
« — Te voies entornar!… Recebem pas la pau-
ralha!…
« — S’ere pauralha coma vos, demandaria res! Voi
nommas Peire, et ses mais dur que lapeira !… Fazias
pas tant l’harbalant, quand lo gealh chantet très
côps !…».
L’apostre n’en demoret com’una feda massolada…
Un pauc apueis, cridet sent Thomas.
Aquelh d’aqui, ques avia auzit Codaca, se prometia
de Fespoussar de la mena :
« — Aco es tu, ques as tant de morre ?
« — Bon sent Thomas, demande pas gaire : vole
mas entrar elh celh.
« — Pelha de beslia! Desgorgeal !… Sabes pas que
sem li martirs, lis confes, lis apostres, li sents et
qu’aquelh celh es noslre?
« — Digeas, sent Thomas, voi sovenés de vôstra
maucrezensa et que Nôstre Signe vos faguet botar
vôstra man dins son| costat?… N’avés pas bergon-
ja? »
Lo sent se casset, pueis cridet sant Paul.
Desera, sent Paul badava la bocha per Ihi en dire
quatre, quant Codaca faguet :
« — Apôstre, sei benaise de voi veire : beléu, me
venés contar sô que faguerias, quant tueron sent
Estefe, e ont anavias, quant un’esparnida vos traguet
per terra. . . »
Acô Ihi faguet com’una gimblada et demoret
mut. . .
Mas lo bon Dieu, que sabia que i avia quican, ven-
guet veire.
Oodaca n’aguet pas paor de Ihi parlar :
< — Senhor, so diguet, sei mas un paure serve, un pelhard, un pas grand cas; mas vos ai totjorn conis- sut, vos ai credut et n'ai dengun tuât. Tota ma vida, ai bailat de mon pan am aquels que n'avian ges, ai fat chaufar et jaire aquels qu'avian freit et qu'eron sen leit; et, aora, voi vene demandar de me badar lo Paradis. — « Aco es parlât delh biais, respondeguet lo bon Dieu. Te sabes parar et ton plaidejat m'agrada. Peire, bada, et tu, entrai » Aqueste côp, chaiiguet que lo portau se badesse, ei Codaca entret elh Paradis. Aquels sents son li senhors d'autres cops, ques avian tôt lo benaise, et Codaca lo paure monde ques a tant rambalhat per en aver un pauc.
Source: Contes recits et legendes des pays de france t.3 / Henri Gilbert
Un pauvre homme était mort un vendredi.
Il faut croire que, ce jour-là, la Camarde avait
fauché un peu trop vite ou que les esprits se livraient
au repos, car il n’y eut ni ange ni diable pour
recueillir son âme.
Et la pauvre âme ne savait où se diriger parce
qu’elle ne connaissait pas plus le chemin du ciel que
celui de l’enfer.
Elle se lamentait, quand saint Michel, qui venait de
quérir un roi, passa. Elle le suivit, de loin, et, ainsi,
arriva au ciel.
C’était un castel dont la muraille était si longue
qu’on n’en voyait pas la fin et si haute qu’on n’en
voyait pas la cime.
Les élus, que les anges portaient, entraient sans
discontinuer, et, chaque fois que le portail, qui res-
plendissait de lumière, s’ouvrait, on entendait en une
douce musique : « Gloire ! Gloire I »
L’âme se sentait possédée d’un ardent désir d’aller
chanter la gloire du Très-Haut.
Elle heurta au portail.
Saint Pierre, qui tient la clef du Paradis, regarda :
« — Que veax-tu? cria-t-il.
« — Je suis Coudaca, de Chilhac; j’ai gagné le ciel
et j’y viens ».
Le gardien du ciel lui répondit, en faisant la gri-
mace :
« — Qui t’a conduit?
« — Je viens seul, bon saint Pierre.
« — Où est ton ange gardien ?
« — Je ne le sais pas : quand je suis parti de là-bas,
il n’y avait personne pour me prendre.
« — Et tu voudrais entrer ici?
« — Certes, oui, bon saint Pierre.
« — Veux-tu te retirer?… Nous ne recevons pas la
pauvraille I . . .
« — Si j’étais pauvraille, comme vous, je ne deman-
derais rien ! Vous vous nommez Pierre et vous êtes
plus dur que la pierre!… Vous ne faisiez pas tant le
fier, lorsque le coq chanta trois foisl… ».
L’apôtre en resta comme une brebis étourdie d’un
coup de massue…
Peu après, il appela saint Thomas.
Celui-ci, qui avait ouï Coudaca, se promettait de
le rabrouer de la belle façon :
« — C’est toi, qui es si hardi?
« — Bon saint Thomas, je ne demande pas grand
chose : je veux seulement entrer au ciel.
« — Vil manant ! Insolent ! Tu ne sais pas que nous
sommes les martyrs, les confesseurs, les apôtres, les
saints, et que ce ciel est nôtre?
« — Dites, saint Thomas, vous souvenez-vous de
votre mécréance, et que Notre-Seigneur vous fît bou-
ter votre main dans son côté?… N’en avez-vous pas
vergogne ? »
Le saint baissa la tête, puis il appela saint Paul.
Déjà, saint Paul ouvrait la bouche pour lui faire un
discours bien senti, quand Coudaca fit :
« — Apôtre, je suis enchanté de vous voir : peut-
être, me venez-vous conter ce que vous fîtes, quand
on martyrisa saint Etienne, et où vous alliez, quand le
feu du ciel vous jeta à terre… »
Ce fut comme si on l’avait cinglé au visage et il
resta sans mot dire…
Mais le bon Dieu, qui savait bien qu’il se passait
quelque chose, vint voir.
Coudaca n’eut pas peur de lui parler :
« — Seigneur, dit-il, je ne suis qu’un pauvre serf,
le dernier des hommes, rien qui vaille; mais je ne
vous ai jamais renié, j’ai crw en vous et n’ai tué per-
sonne. Toute ma vie, j’ai partagé mon pain avec ceux
qui n’en avaient point, j’ai réchauffé et couché ceux
qui avaient froid et qui étaient sans abri ; et, ore, je
viens vous demander de m’ouvrir le Paradis.
« — C’est bien parlé, répondit le bon Dieu. Tu sais
te défendre et ton plaidoyer m’agrée. Pierre, ouvre !
et toi, entre ! »
Cette fois, il fallut bien que le portail s’ouvrît, et
Coudaca entra au Paradis.
Ces saints sont les seigneurs de jadis, qui avaient
tout le bien-être, et Coudaca, le pauvre peuple qui a
tant peiné pour en obtenir un peu.
/////////////
L’anma se sentia tirada per l’enveja d’anar chanta r
la gloria de l’Autisme.
Tustet pelh portau.
Sent Peire, ?que ten la clau delh Paradis, espin-
chet ;
« — Que voles ? » so cridet.
« — Sel Codaca de ves Ghilhac ; ai ganhat lo celh
e 1 vene ».
Lo gardaire delh celh respondeguet en se re-
gaunhant :
« — Quau t’a menât ?
« — Vene solet, bon sent Peire.
« — Ont es ton bon ange ?
« — sabe pas ; quant sei partit d’alaien, i avia
dengun per me prener.
« — Et voudrias entrar’qui?
« — Fotre ben, bon sent Peire !
« — Te voies entornar!… Recebem pas la pau-
ralha!…
« — S’ere pauralha coma vos, demandaria res! Voi
nommas Peire, et ses mais dur que lapeira !… Fazias
pas tant l’harbalant, quand lo gealh chantet très
côps !…».
L’apostre n’en demoret com’una feda massolada…
Un pauc apueis, cridet sent Thomas.
Aquelh d’aqui, ques avia auzit Codaca, se prometia
de Fespoussar de la mena :
« — Aco es tu, ques as tant de morre ?
« — Bon sent Thomas, demande pas gaire : vole
mas entrar elh celh.
« — Pelha de beslia! Desgorgeal !… Sabes pas que
sem li martirs, lis confes, lis apostres, li sents et
qu’aquelh celh es noslre?
« — Digeas, sent Thomas, voi sovenés de vôstra
maucrezensa et que Nôstre Signe vos faguet botar
vôstra man dins son| costat?… N’avés pas bergon-
ja? »
Lo sent se casset, pueis cridet sant Paul.
Desera, sent Paul badava la bocha per Ihi en dire
quatre, quant Codaca faguet :
« — Apôstre, sei benaise de voi veire : beléu, me
venés contar sô que faguerias, quant tueron sent
Estefe, e ont anavias, quant un’esparnida vos traguet
per terra. . . »
Acô Ihi faguet com’una gimblada et demoret
mut. . .
Mas lo bon Dieu, que sabia que i avia quican, ven-
guet veire.
Oodaca n’aguet pas paor de Ihi parlar :
< — Senhor, so diguet, sei mas un paure serve, un pelhard, un pas grand cas; mas vos ai totjorn conis- sut, vos ai credut et n'ai dengun tuât. Tota ma vida, ai bailat de mon pan am aquels que n'avian ges, ai fat chaufar et jaire aquels qu'avian freit et qu'eron sen leit; et, aora, voi vene demandar de me badar lo Paradis. — « Aco es parlât delh biais, respondeguet lo bon Dieu. Te sabes parar et ton plaidejat m'agrada. Peire, bada, et tu, entrai » Aqueste côp, chaiiguet que lo portau se badesse, ei Codaca entret elh Paradis. Aquels sents son li senhors d'autres cops, ques avian tôt lo benaise, et Codaca lo paure monde ques a tant rambalhat per en aver un pauc.