Le Dahut, cest une bête fantastique que personne na jamais vue, mais dont on parlait beaucoup autrefois dans le pays. Depuis, on nen entend plus rien dire dans nos contrées, et même le nom serait oublié, sans un bon tour advenu à un brave garçon qui aimait la plaisanterie, il y a peut-être cent ans. Ce soir là, il se trouvait sur la chaussée de létang des Grenouilles, et je ne sais trop ce quil faisait là, mais il est probable quil attendait une jeune fille, laquelle tardait à venir. Les filles, on le sait, ne sont guère pressées darriver. Il faut dire que cet étang était ouvert depuis longtemps déjà ; leau le traversait, un petit ruisseau, et sortait toute par la bonde sous la chaussée. Aussi, en prenant patience, le jeune homme regardait-il passer leau par cette bonde, sans penser à rien. Il était là depuis un bon moment, quand, par le chemin, survint un autre garçon, pas des plus intelligents certes, qui linterpella : Hé ! Pierre ! Que fais-tu ? Notre homme se retourna, le vit ; cela lui donna une idée. Sans bouger, il fit signe de ne pas faire de bruit. Le benêt sapprocha. -Que fais-tu là ? Pierre mis un doigt sur ses lèvres. -Jattends le Dalus. On dit ainsi : jattends le Dalus, quand on attend quelque chose qui na guère de chance darriver. Mais le stupide garçon navait jamais entendu cette expression, cest pourquoi il demanda encore : -Quest ce que cest le Dalus ? Lautre lui faisait toujours signe de ne pas faire de bruit. Mais quest ce que cest le Dalus ? Pierre leva les bras en lair. Le Dalus, cest le Dalus, dit-il à haute voix. Cest une bête, dont celui qui lattraperait tirerait beaucoup dargent, et peut être même naurait-il plus jamais besoin de travailler. Oh ! Fit le garçon. -Eh oui ! Certainement. Mais, maintenant que tu es venu ici faire lâne et crier comme une oie aveugle, ce nest plus la peine dattendre. Il ne viendra pas ce soir, et il se peut quil ne revienne pas de longtemps. Et Pierre sen alla, en prenant un air fâché, alors quil riait bien en son fort intérieur. Mais dans la tête de linnocent, une idée faisait son chemin. Et si je lattrapais, moi, le Dalus ? Il alla chercher un beau sac de toile, bien solide, le disposa à la sortie de la bonde, grande ouverte, lattacha comme il faut. Et puis il attendit. Quil soit ce quil voudra, si le Dalus est là et quil veuille sortir, je le tiens. La nuit était presque achevée, sans quil eût rien vu, quand tout à coup, il allait être jour, on entendit un bruissement dans leau et le sac se mit à bouger. Le Dalus ! se dit le garçon. Et il attrapa le sac par le haut. Mes amis ! Ça nallait pas tout seul dans le sac ! Cela faisait des sauts comme la diable sous leau bénite. Et même, pour un peu, cela rentrait dans le ruisseau, tout emmailloté dans ses chiffons. Toutefois, à force de taper dessus et de le heurter de tous les cotés contre le sol, le garçon en fut maître ; il neut plus quà jeter le sac sur son épaule et il sen allait fort content. Il rencontra Pierre qui venait de se lever. Où vas-tu ce matin, daussi bonne heure ? Et que portes-tu dans ce sac ? Cest le Dalus. Quel Dalus ? Le Dalus ! Ne mas-tu pas dit hier soir quil était à la vanne de létang ? Mais idiot ! Le Dalus, ça nexiste pas ! Ah oui ! Pourtant jy suis allé, et je lai attrapé, même que cest dur, le Dalus ! Jai cru ne pas le tuer. Eh bien ! faisait Pierre tout penaud. Eh bien ! Mais maintenant que tu las attrapé, si tu nous faisais voir à quoi il ressemble ? La curiosité le saignait. On ouvrit le sac. Dedans, il y avait tout simplement une loutre. Eh oui, une belle loutre, des plus lustrées, qui pesait bien ses dix-huit livres. Et sans parler de la bonne viande, aussi fine que la chair des truites, doù il tira plus dun dîner, notre innocent eut un bon prix de la peau. Car il y a un seul jour dans lannée où la peau de la loutre est sans valeur : le jour où lon ne peut pas lattraper. Et lautre regrettait.
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