On assure que ce rocher pivote sur lui-même et découvre des barriques d’or le dimanche des Rameaux, entre l’instant où le prêtre frappe du pied de la croix à la porte de l’église et celui où s’en ouvrent les vantaux. C’est l’affaire de quelques secondes. Celles-ci doivent suffire à l’audacieux qui se tiendra prêt à se saisir de ces diaboliques richesses. Il lui faudra agir très vite, s’il ne veut pas tout perdre, ni risquer de ne plus jamais revoir les siens, car la lourde pierre l’écrasera en reprenant sa place. L’expédition est toujours apparue tellement dangereuse que personne n’a jamais, jusqu’à ce jour, essayé de l’entreprendre. Et puis, pour la risquer, il faudrait manquer la messe, ce que ne saurait faire un bon chrétien.
Une femme du pays, un jour, a pu puiser dans le trésor du diable. C’était une malheureuse, demeurée veuve depuis peu de temps, avec un tout jeune enfant. Les soins qu’elle avait prodigués à celui-ci l’avaient retenue chez elle plus longtemps qu’elle ne l’avait pensé et voulu. Elle partit en retard pour se rendre à la messe des Rameaux, portant son petit dans ses bras. Comme elle arrivait, auprès de la grosse pierre des Jarges, elle vit celle- ci tourner sur elle-même, se soulever, laissant à découvert des monceaux d’or.
Avec un remarquable esprit de décision, elle posa son enfant à ses côtés, enfouit ses mains dans un tas d’écus, comme elle l’aurait fait dans un sac de blé, et les retira pleines de bonnes espèces sonnantes et trébuchantes qu’elle engouffra dans les poches de son tablier. Si vite qu’elle eut procédé, le temps lui manqua pour relever son enfant avant que la pierre ne reprit sa place et son petit se trouva enseveli sous elle. La pauvre mère fut en proie à un violent désespoir. Sans cloute était-elle riche à présent, mais à quoi cette richesse allait-elle lui servir maintenant qu’elle était, pensait- elle, à tout jamais séparée du petit être qui, depuis la mort de son mari, était toute sa vie ? Les larmes coulèrent abondamment de ses yeux. Elle se traîna sur les genoux, supplia la pierre de se soulever de nouveau, juste le temps de remettre l’argent qu’elle avait pris et de délivrer son enfant. Ses pleurs et ses prières demeurèrent vaines. Folle de douleur, elle regagna sa maison, s’y terra comme une bête sauvage et malfaisante au fond de sa tanière. Les pièces d’or s’étalaient sur sa table, devant elle. Qu’allait-elle faire de cet argent maudit ? Elle se reprocha amèrement de n’être pas demeurée pauvre et de s’être laissé tenter. Sa vie eût été matériellement plus dure, mais elle n’aurait pas été sans bonheur. L’amour du petit être, né de sa chair, l’aurait consolée de bien des déboires. Tandis qu’elle n’avait plus aucune affection à qui s’attacher. On s’étonna tout d’abord dans son voisinage de ne plus la voir sur le seuil de sa porte, son enfant dans les bras. On apprit bientôt – comment ? nul ne saurait le dire – qu’elle avait en sa possession de belles boursées d’or. La malignité des gens ne tarda pas à l’accuser d’avoir vendu son enfant contre argent sonnant. Elle devint moralement de plus en plus malheureuse et demanda à Dieu d’avoir pitié d’elle. Son repentir était tellement grand, tellement sincère que le ciel ne voulut pas que, toute sa vie, elle souffrit de sa faute. Elle se rendait chaque matin à la chapelle de Fontanat pour y dire sa prière et réclamer le retour de son enfant. Un jour qu’elle était agenouillée devant la statue de saint Pierre, celle-ci s’anima, lui parla et lui dit : – Tu as commis une grosse faute en te laissant tenter par ce trésor qui s’offrait à ta vue, mais tu étais pauvre et tu pensais pouvoir élever mieux ton enfant avec cet argent. Dieu est prêt à te pardonner, car tu as toujours, depuis, battu ta coulpe avec confiance. Tout l’or qui est en ta possession ne t’est pas nécessaire. Prélèves-en la plus large partie et fais l’aumône autour de toi, répands-le entre ceux de tes semblables qui le méritent, pour qu’ils connaissent tout à la fois un peu d’aisance et de bonheur. Reviens ensuite au prochain jour des Rameaux devant la Pierre de Jarges : attends et espère. Pleine de confiance en la parole de saint Pierre, pleine de respect aussi, elle accomplit à la lettre tout ce que celui-ci lui avait recommandé. Elle distribua son or à bon escient, fit tout le bien qu’il lui était possible de répandre autour d’elle et vint tous les matins prier dévotieusement l’apôtre, pour qu’il intercède en sa faveur auprès de Dieu. Arriva la Fête des Rameaux. La femme alla se placer à la base de la pierre tournante. Elle entendit la cloche de l’église sonner le commencement de la messe. Son cœur s’arrêta de battre. Ses yeux se fixèrent sur l’énorme monolithe et, comme il lui avait été dit, elle attendit et espéra. Tout à coup, la, lourde masse pivota et la pauvre mère devint la plus heureuse des femmes en apercevant, au fond de l’excavation que ses mains avaient creusée dans le tas d’or l’année précédente, son enfant vivant qui souriait en lui tendant ses petits bras. Elle le saisit, le pressa de toutes ses forces contre son sein pendant que la Pierre de Jarges reprenait son immuable immobilité.
On assure que ce rocher pivote sur lui-même et découvre des barriques d’or le dimanche des Rameaux, entre l’instant où le prêtre frappe du pied de la croix à la porte de l’église et celui où s’en ouvrent les vantaux. C’est l’affaire de quelques secondes. Celles-ci doivent suffire à l’audacieux qui se tiendra prêt à se saisir de ces diaboliques richesses. Il lui faudra agir très vite, s’il ne veut pas tout perdre, ni risquer de ne plus jamais revoir les siens, car la lourde pierre l’écrasera en reprenant sa place. L’expédition est toujours apparue tellement dangereuse que personne n’a jamais, jusqu’à ce jour, essayé de l’entreprendre. Et puis, pour la risquer, il faudrait manquer la messe, ce que ne saurait faire un bon chrétien.
Une femme du pays, un jour, a pu puiser dans le trésor du diable. C’était une malheureuse, demeurée veuve depuis peu de temps, avec un tout jeune enfant. Les soins qu’elle avait prodigués à celui-ci l’avaient retenue chez elle plus longtemps qu’elle ne l’avait pensé et voulu. Elle partit en retard pour se rendre à la messe des Rameaux, portant son petit dans ses bras. Comme elle arrivait, auprès de la grosse pierre des Jarges, elle vit celle- ci tourner sur elle-même, se soulever, laissant à découvert des monceaux d’or.
Avec un remarquable esprit de décision, elle posa son enfant à ses côtés, enfouit ses mains dans un tas d’écus, comme elle l’aurait fait dans un sac de blé, et les retira pleines de bonnes espèces sonnantes et trébuchantes qu’elle engouffra dans les poches de son tablier. Si vite qu’elle eut procédé, le temps lui manqua pour relever son enfant avant que la pierre ne reprit sa place et son petit se trouva enseveli sous elle. La pauvre mère fut en proie à un violent désespoir. Sans cloute était-elle riche à présent, mais à quoi cette richesse allait-elle lui servir maintenant qu’elle était, pensait- elle, à tout jamais séparée du petit être qui, depuis la mort de son mari, était toute sa vie ? Les larmes coulèrent abondamment de ses yeux. Elle se traîna sur les genoux, supplia la pierre de se soulever de nouveau, juste le temps de remettre l’argent qu’elle avait pris et de délivrer son enfant. Ses pleurs et ses prières demeurèrent vaines. Folle de douleur, elle regagna sa maison, s’y terra comme une bête sauvage et malfaisante au fond de sa tanière. Les pièces d’or s’étalaient sur sa table, devant elle. Qu’allait-elle faire de cet argent maudit ? Elle se reprocha amèrement de n’être pas demeurée pauvre et de s’être laissé tenter. Sa vie eût été matériellement plus dure, mais elle n’aurait pas été sans bonheur. L’amour du petit être, né de sa chair, l’aurait consolée de bien des déboires. Tandis qu’elle n’avait plus aucune affection à qui s’attacher. On s’étonna tout d’abord dans son voisinage de ne plus la voir sur le seuil de sa porte, son enfant dans les bras. On apprit bientôt – comment ? nul ne saurait le dire – qu’elle avait en sa possession de belles boursées d’or. La malignité des gens ne tarda pas à l’accuser d’avoir vendu son enfant contre argent sonnant. Elle devint moralement de plus en plus malheureuse et demanda à Dieu d’avoir pitié d’elle. Son repentir était tellement grand, tellement sincère que le ciel ne voulut pas que, toute sa vie, elle souffrit de sa faute. Elle se rendait chaque matin à la chapelle de Fontanat pour y dire sa prière et réclamer le retour de son enfant. Un jour qu’elle était agenouillée devant la statue de saint Pierre, celle-ci s’anima, lui parla et lui dit : – Tu as commis une grosse faute en te laissant tenter par ce trésor qui s’offrait à ta vue, mais tu étais pauvre et tu pensais pouvoir élever mieux ton enfant avec cet argent. Dieu est prêt à te pardonner, car tu as toujours, depuis, battu ta coulpe avec confiance. Tout l’or qui est en ta possession ne t’est pas nécessaire. Prélèves-en la plus large partie et fais l’aumône autour de toi, répands-le entre ceux de tes semblables qui le méritent, pour qu’ils connaissent tout à la fois un peu d’aisance et de bonheur. Reviens ensuite au prochain jour des Rameaux devant la Pierre de Jarges : attends et espère. Pleine de confiance en la parole de saint Pierre, pleine de respect aussi, elle accomplit à la lettre tout ce que celui-ci lui avait recommandé. Elle distribua son or à bon escient, fit tout le bien qu’il lui était possible de répandre autour d’elle et vint tous les matins prier dévotieusement l’apôtre, pour qu’il intercède en sa faveur auprès de Dieu. Arriva la Fête des Rameaux. La femme alla se placer à la base de la pierre tournante. Elle entendit la cloche de l’église sonner le commencement de la messe. Son cœur s’arrêta de battre. Ses yeux se fixèrent sur l’énorme monolithe et, comme il lui avait été dit, elle attendit et espéra. Tout à coup, la, lourde masse pivota et la pauvre mère devint la plus heureuse des femmes en apercevant, au fond de l’excavation que ses mains avaient creusée dans le tas d’or l’année précédente, son enfant vivant qui souriait en lui tendant ses petits bras. Elle le saisit, le pressa de toutes ses forces contre son sein pendant que la Pierre de Jarges reprenait son immuable immobilité.